Le Maître des Cordes – Partie 3

Le vaisseau était en vol stationnaire au dessus de nous, caché derrière un énorme piton rocheux. Wode, l’éclaireur le plus doué que je connaisse, partit seul. Son agilité lui permettait de se fondre dans le décor de désert qu’était la dimension N. Gada, la snipeuse, prit un peu de hauteur et suivit les mouvements de Wode pour lui assurer une couverture tandis qu’il évoluait sur un terrain des plus accidenté. La tireuse d’élite était précise. Je faisais confiance à son œil. Nous attendions dans cette nature inhospitalière, à la lumière de crépuscule, avec comme seule mélodie le sifflement d’une légère brise rythmée par les respirations étouffées dans nos scaphandres. La tension était palpable. Personne ne parlait, et pourtant le silence était toujours absent. A ma manche, une lumière « abstraite » clignota. Wode nous signalait que la voie était libre. La longueur d’onde de cette LED ne pouvait être détectée que par les yeux bioniques des HYBOU, pratique pour les effets de surprises sur les champs de bataille standards. Mais la dimension N était tout sauf standard.

« En route, dis-je en sortant mon arme de son holster »

Le positionnement était toujours le même. Nadil, dans son armure de mécha léger, était le plus solide. Il passait devant pour nous assurer la meilleure protection possible. Si nous tombions dans une embuscade, son artillerie lourde et son blindage nous permettraient de gagner du temps pour se repositionner efficacement. A deux pas de lui se tenait Tluth, une soldat d’infanterie. Sa réactivité et sa faculté d’initiatives m’avaient toujours épaté. Je me trouvais derrière eux. En bon chef d’escouade, cette position me permettait de donner des ordres rapides. Enfin, derrière nous se trouvait Gada. Si quelqu’un était resté dans le vaisseau, il aurait vu le déploiement gracieux d’une constellation d’étoiles obscures. Nous étions la Flèche. Nous étions le groupement d’astres prêt pour le crépuscule d’une idole. Nous étions Persée, venu pour décapiter Méduse.

Wode était caché derrière des rochers, et observait devant lui avec des jumelles. A partir de maintenant, nous resterions groupés.

« Mann a l’air de s’être retranché dans une des grottes devant nous. Il y a des droïdes-gardiens cachés un peu partout sur le chemin, dit Wode.»

Sur le sol, il projeta une holo-carte que ses jumelles avaient pu tracer, aidées par les compétences de géologue de l’éclaireur.

« Les droïdes sont positionnés ici, ici, ici et trois autres là, prêt de l’entrée de la grotte. Gada ? »

Sans rien dire, la tireuse d’élite changea son chargeur de balles normales pour des balles IEM. Elle prit aussitôt position. Six coups furent tirés, à la vitesse de l’éclair. Aussi silencieux qu’une attaque de rapace.

« Ils ne poseront plus de problèmes, dit Gada.

– Très bien, nous allons avancer jusqu’à l’entrée de la grotte, et voir si quelque chose bouge. Si on ne voit aucuns signes de défense, on entrera dans la grotte. Mais souvenez-vous, même si tout reste calme, Mann s’attend à nous voir. Donc restez sur vos gardes, déclarais-je. »

Nous avions repris notre position de combat. Wode était placé entre Gada et moi. La tension était montée d’un cran, mais le paysage restait le même. La dimension N n’avait que faire de nos querelles et de nos guerres. Quand tout serait terminé, il régnerait ici la même lumière éternelle de fin de jour.

Nous avancions prudemment depuis de nombreuses minutes quand nous sommes arrivés devant l’entrée de la grotte. La gueule de la bête. Nous sommes restés là, dans un moment suspendu dans le temps, sans rien dire. La musique naturelle des lieux avait changée. Le son était plus grave et semblait nous dire « vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir ». Mais la nature entière se trompait. L’Enfer n’était pas encore à l’intérieur de la grotte. L’Enfer était sur le pas de la porte.

Toujours en formation, nous entrâmes dans un couloir long et obscur. Au bout, on distinguait une salle, plutôt vaste. Après seulement une quinzaine de pas dans ce corridor, Nadil marqua un léger temps de pause. Il me jeta un coup d’oeil. En continuant la progression, j’entendis quelque chose d’étrange. Un son difficile à décrire mais qui ressemblait le plus à ce qu’on pourrait appeler une harpe céleste. Mais cette mélopée ne provenait d’aucun instrument. C’était dans l’air. Et ça n’en était que plus perturbant.

Nous approchions de la grande salle. Elle était baignée dans une lumière orangée, émanant de piliers lumineux. Au milieu siégeait une machine dont sortait de nombreux câbles. C’était sûrement ce que Mann avait volé. Mais pour l’instant, aucune trace de mon frère.

Un piton rocheux jaillit, vint cisailler l’armure de Nadil, le propulsant contre le mur adjacent. Un autre piton s’abattit sur son épaule. Il était bloqué. Les lames de roches étaient sorties du mur et du plafond, comme douées de conscience. L’artilleur hurla. Il tira dans la pierre pour se dégager, sans succès. Tous se mirent derrière son blindage pour se protéger. Wode envoya une grenade fumigène dans la salle, ce qui nous permit d’entrer. Le nuage prit vie lui aussi et se dirigea vers Nadil et Gada, restée derrière. Le nuage était dense, impossible de distinguer nos camarades. Tluth effectua un tir de barrage. Wode et moi passâmes, pour aller se cacher derrière des roches qui pourraient nous servir de barricade naturelle. Dans le couloir, la fumée devint opaque, et il ne nous parvenait que des sons lointains, des appels à l’aide.

« De tous les soldats HYBOU, Odhar a décidé de t’envoyer toi, mon frère. Bonjour Lioptr ».

De l’autre côté de la salle, Mann sortit de l’obscurité, en silence. Il était vêtu de la tenue de combat des HYBOU, mais portait un énorme gant à la main droite. Ce gant était relié à la machine des câbles immense, il avait l’air lourd et remontait jusqu’au coude. Il était serti de trois sortes d’ampoules, une grosse et deux petites, toutes remplies d’un liquide vert émeraude.

« Déposez vos armes, je ne vous veux aucun mal, dit Mann

-Rends toi tout de suite Mann, tu es cerné. Nous avons pour ordre de reprendre la machine, avec ou sans toi, criais-je, de derrière la barricade.

-Lioptr, le pouvoir de cette machine te dépasse, tu ne vois pas assez loin. »

Dans le couloir, le nuage de fumée était encore épais, et on ne pouvait ni entendre ni voir Nadil et Gada. Si ils étaient encore en vie…

Il était temps d’en finir. Je fis un geste à Wode. Avec Tluth, nous sortâmes de notre couverture pour faire un tir de barrage et l’éclaireur s’élança pour prendre Mann à revers. Mon frère fit un grand geste de la main, et des pics de roches sortirent du sol. Il se protégea derrière ceux qui étaient les plus gros et les proches de lui. Mais d’autres venaient vers nous à grande allure. Si bien que pour éviter de finir empaler, nous dûmes sortir de notre cachette.

Wode arrivait à hauteur de Mann. A ce moment, la fumée du corridor qui semblait inerte reprit vie et fila vers l’éclaireur. Elle l’enveloppa complètement, le rendant aveugle. A l’entrée du couloir, Nadil et Gada étaient emprisonnés, comme faisant parti du mur rocheux.

Quand le nuage s’estompa, Mann avait pris Wode en otage, le menaçant d’un couteau sur la gorge. Le tonnerre qui avait fait rage dans cette petite grotte, était fini. Il ne restait plus que la mélodie de cette harpe céleste.

« Mes amis, dit Mann, écoutez moi. Vous n’avez aucune idée de ce qu’est cette machine. Arrêtez d’agir comme des robots. Vous avez ordre de me tuer. Mais savez-vous pourquoi j’ai volé cet appareil? Les scientifiques de la section HYBOU tentaient des expériences. Ils ont créés ce dispositif pour essayer de contrôler les cordes, les plus petites composantes des particules élémentaires. C’est pour ça que le centre de recherche était basé sur Mercure. La gravité sur cette planète était censé les aider à faire vibrer différemment les cordes, grâce à ce gant! Tout ça pour créer de nouvelles armes. Mais ils ne voyaient pas assez loin!

-Mann, reste tranquille. Relâche Wode. Tout est fini pour toi. Combien de HYBOU as-tu déjà tué? Et combien on t’a offert pour voler cette machine hein?

-Je crois que tu ne comprends pas la situation mon frère… Personne ne m’a acheté. J’ai pris la décision de voler la machine de mon propre chef. Avec la puissance gravitationnelle de la dimension N, je peux plier la réalité à ma volonté. Je ne suis pas un ennemi. Au contraire. Je ne suis votre plus puissant allié!

-Tais-toi! Criais-je. Tu as assez men…

-Laisse le parler, Lioptr, me coupa Tluth. Ecoutons ce qu’il a à dire.

-Merci… Vous ne pensez pas que la guerre a assez durée? Combien de familles déchirées? Combien de nations brisées? Tout ça pour quoi? J’ai la possibilité de changer tout ça. Grâce à cette machine, j’ai la possibilité d’éradiquer toute violence inutile. »

Mann leva sa main gantée, et en un simple mouvements de doigts, il démantela pièce par pièce le blaster léger de Wode.

-Mes amis, je ne vous parle pas d’arrêter une guerre, mais d’arrêter toutes les guerres, présentes et futures. Avec la puissance de la dimension N, je peux modifier la réalité, et ainsi laisser notre système solaire dans une paix éternelle.

Tluth baissa son arme, et la laissa tomber à terre.

-Tu… tu as raison. Si c’est vraiment ce que tu comptes faire, vas-y. Je veux retourner vivre auprès de ma famille, dit elle.

-Mais… Nous sommes des soldats! Nous appartenons à ce monde. Notre vie est sur les champs de batailles! Dis-je.

-Lioptr…

-Sans guerres, nous sommes inutiles!

-Tu te trompes mon frère, sans guerres, nous redeviendrons humains. Nous ne serons plus des machines, dit Mann, des sanglots dans la voix.

-Dans ce cas…

Sans finir ma phrase, je tirai sur mon frère à travers Wode, tout en jetant une grenade en direction de la machine. Alors le temps ralenti. J’entendis Tluth crier, et vit Mann s’effondrer, doucement, pour heurter le sol avec violence. La soldate se baissa pour attraper son arme.

Puis vint l’explosion.

Je ne m’attendais pas à un souffle si puissant. J’eus seulement le temps de me cacher derrière un des stalagmites de Mann. Le plafond commença à s’écrouler. En courant vers la sortie, un énorme rocher se détacha, et me tomba dessus.

Je m’évanouis.

Durant le temps où j’étais inconscient, mon frère vint me voir. Son teint était pâle, mais il restait beau, et son visage était lumineux. Il ne parla pas, mais ses yeux me jugeaient. Je ne pouvais détourner le regard. Puis il ouvrit la bouche, et du sang coula sur son menton. Et tout devint noir.

A mon réveil, je sentis un poids sur ma jambe. Mon mollet et mon genou étaient coincés sous un énorme rocher. Mon scaphandre était percé, la pression descendait très lentement. J’avais condamné le système solaire au chaos, pour encore des décennies. Et pour ça, je reçus une punition divine. Pendant ma lente agonie qui servait de purgatoire, j’allais pouvoir réfléchir à mes actes. A ce moment, me revint en mémoire une citation de la Bhagavad-Gita: « Je suis le temps, qui en progressant, détruit le monde ».

Le calme est l’apanage des gens de pouvoir. Ou celui des morts. Le sifflement de mon scaphandre brisé me rappela que je n’étais ni l’un, ni l’autre.

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