Le Maître des Cordes – Partie 2

L’histoire des HYBOU était liée à celle des anciennes colonies. La megacorporation Avalon avait été la première à se doter d’une milice privée composée uniquement de cyborgs: la section HYBOU. Le nom venait de l’anagramme HYBrid Organism Unit. Lors de de la première guerre pour les colonies, la section avait aidée Mars à prendre son indépendance. Avalon avait sauté sur l’opportunité d’un nouveau status quo pour conquérir de nouveaux marchés. Peu après, le martien Wilek Varen prit la tête de la Guilde des Anciennes Colonies et promettait ainsi un soutien immense à Avalon. Des accords commerciaux furent signés directement avec la megacorporation. Varen avait préféré se tourner vers les propriétaires de la section HYBOU plutôt que vers les dirigeants politiques car il les voyait comme de vulgaire gratte-papiers. Lui avait vécu les horreurs des champs de batailles. Eux, s’étaient prélassés dans leurs luxueux penthouses, au silence de cathédrale et aux cieux artificiels toujours bleus, voyant la guerre uniquement par le prisme des écrans et des actions boursières. Le chef de la section HYBOU, Zaul Dax, devint bientôt le meilleur ami de Varen et ensemble, ils permirent à la section de prendre son indépendance. La marionnette de Avalon avait coupé ses fils.

C’est Dax qui mit en place notre code d’honneur et nos rites. C’est à lui que l’on doit la grandeur de la section. Pour lui, la souveraineté des HYBOU passait par l’élitisme. Il avait donc mis un point d’honneur à ce qui fit notre pérennité: le double emploi de ses soldats. Nous étions tous d’excellents guerriers rompus à toutes les techniques de corps à corps, d’utilisation d’armements légers comme lourds. Mais aussi de brillants scientifiques et chercheurs, ayant contribué à de grandes avancées en philosophie, en biologie et en astrophysique. Pour Dax, l’âme d’un guerrier devait être nourri par son esprit, et le temps dans les centres de recherches étaient considérés comme de véritables méditations.

Et sous les lumières tamisées de la navette, je voyais les visages de guerriers d’exception. Tous étaient sous mes ordres. J’avais gagné mon statut de chef d’escouade grâce à mon profil d’incomparable tacticien. Notre cohésion était née sur les champs de batailles. Et ils pourraient tous mourir pour moi. De véritables frères d’armes.

«On arrive à la station Lioptr, arrimage dans 2 minutes, dit Tluth.»

La section HYBOU avait des bases un peu partout dans le système solaire. Des places fortes qui permettaient d’asseoir une suprématie totale. Seuls des vaisseaux de la section pouvaient passer tous les postes de contrôle avant d’arriver à destination. En ces temps de guerre, un vaisseau non identifié aurait été désintégré dans la seconde. Mann avait franchi les checkpoints en HYBOU. Mais il était entré dans la base en ennemi, comme en attestaient les traces de blasters sur les murs, stigmates de sa métamorphose. Qu’est ce que tu as en tête, Mann ? En vérité peu m’importait la réponse. Dans la station, je suivais la trace mon frère, je marchais dans ses pas, et pour la première fois, j’étais plus valeureux que lui. Plus noble. J’inspirais à plein poumon ce nouveau parfum de grandeur.

«Donc après avoir pris la machine sur Mercure, Mann est venu ici pour traverser le portail et aller dans la dimension N c’est ça ? demanda Tluth.

-J’ai l’impression… Odhar n’avait pas l’air de savoir grand chose, répondis-je.

-Ton frère a profité d’une journée avec effectif réduit pour venir. Mais ça n’enlève pas le fait que c’est un guerrier hors pair. Regardez moi ça !

Nadil était absorbé par l’holo-écran. Les caméras de surveillance avait capté tous les mouvements, toutes les actions de mon frère pendant ce raid qu’il avait mené seul. Les yeux de Nadil s’écarquillaient. Mes poings se serraient. Je les voyais devenir blanc, aussi blanc que serai le cadavre de mon frère.

-Un vrai HYBOU, dit sèchement Gada.

-Un traître, la coupais-je. Maintenant qu’on a vu comment il avait procédé, on doit le suivre, et vite. En route.

Nous avions tous revêtu nos tenues de combat, l’ambiance dans la navette était crispée. Le vaisseau était prêt à partir, vibrant d’impatience à l’ouverture du portail. Le petit commando que nous formions était un joyau funeste, une dague d’onyx, prête à faire couler le sang. De l’autre côté de cette porte d’une lumière aveuglante s’étendait un royaume tourmenté. De l’autre côté se trouvait son roi, mon frère. Et la fin de son règne était proche.

La dimension Newton avait livrée ses secrets il y a 55 ans. Les découvertes successives du 19e et 20e siècle avaient permis de mieux comprendre les interactions élémentaire qui sont responsables des phénomènes physiques observés dans l’Univers. Une question restait en suspens. Pourquoi la gravité était elle la force fondamentale la plus faible ? Certains voyaient dans cette anomalie une trinité plus un, d’autre une représentation naturelle du tetragrammaton. Ces allégations ne révélaient plus de la rigueur scientifique mais d’une croyance, d’une métaphysique. Des hypothèses plus rationnelles commencèrent à fuser. Dont une s’avéra vraie. A la création de l’univers, une partie de la gravité générée par le Big Bang avait été avalée par une autre dimension.

Il y a 55 ans donc, une simple expérience dans un accélérateur de particule ouvrit une brèche dans un monde inconnu. La dimension Newton. Des explorations débutèrent. Le territoire se révéla être un gigantesque tore, un tunnel courbé refermé sur lui même. La hauteur  du tube avait été évaluée à 12 km, pour un diamètre de 520 km. Le terrain était rocheux, de larges stalagmites de pierre recouvraient le sol. L’attraction terrestre s’exerçait partout si bien qu’on ne pouvait déterminer le haut du bas. Tout était attiré par l’extérieur du tore. Une chimiluminescence d’éléments inconnus produisait une lumière pastelle qui oscillait entre le orange et le bleu. Si bien qu’il régnait ici une lueur de crépuscule permanent. Toutes les nations, nouvelles comme anciennes, essayèrent de planter un drapeau sur cette terra incognita. Mais des perturbations gravitationnelles empêchaient tout campement à long terme. On perdit un jour le contact avec une équipe censée cartographier et étudier la géologie de la dimension N. On les retrouva, certains ensevelis sous des rochers. Ceux qui avaient échappées à l’avalanche n’étaient pas les plus chanceux. Leurs scaphandres s’étaient fendus, voir brisés, et l’air de la dimension N avait changé leur visage en chair pourrie parsemé de trous profonds. De quoi transformer les plus courageux en trypophobes irrécupérables.

Nous volions dans la dimension N depuis près de 2 longues heures quand Tluth repéra un signal qui semblait être la trace de mon frère.

« Tluth, ne va pas plus loin. On va se poser à 3km, sur la face opposée.
– Lioptr, tu crois qu’il sait qu’on est là ? demanda Wode.

– Bien sûr, mais je pense qu’il essaiera de gagner du temps. Le tout est d’essayer d’avoir le plus grand effet de surprise possible. »

Notre navette était équipée de propulseurs verticaux qui permettaient un vol stationnaire en attendant le retour de notre chasse. Si une perturbation gravitationnelle venait à frapper, le vaisseau serait intacte. En espérant que nous serions assez rapide pour éviter la catastrophe au sol. Chacun mit son scaphandre et le commando s’installa dans le sas de décompression. Le pont descendit et laissa entrer l’air toxique de la dimension N. Tout se figea, pendant une petite éternité. A partir de maintenant, tout devenait un ennemi. Sur le terrain, l’escadron se mit en position de combat. C’était un ballet classique, un opéra. Les justaucorps avaient laissés place à des armures. Les chants lyriques seraient ceux des blasters.

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La suite ici: https://hologrammepourpre.net/2019/04/19/le-maitre-des-cordes-partie-3/

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